FMH, organisation professionnelle
 
BMS - Bulletin des médecins Suisses
Édition 01-02 Autres organisations et institutions – OFSP

Radiovigilance et sécurité des patients

Événements radiologiques médicaux L’utilisation de rayonnements ionisants comporte des risques pour la santé. C’est pourquoi elle doit en principe être justifiée, réalisée de manière sûre et optimisée, puis documentée. Le présent article fait le point sur les événements radiologiques médicaux qui ont été notifiés de 2018 à 2022 et sur les enseignements qui en ont été tirés.

Jeanne Berg
​​​​​​​M.A., collaboratrice scientifique à la section Radiothérapie et diagnostic médical, Office fédéral de la santé publique OFSP, Berne

Reto Treier
Dr sc. coresponsable de la section Radiothérapie et diagnostic médical, Office fédéral de la santé publique OFSP, Berne

Philipp R. Trueb
Dr phil. nat. coresponsable de la section Radiothérapie et diagnostic médical, Office fédéral de la santé publique OFSP, Berne

La radiovigilance désigne l’attention permanente portée aux erreurs possibles dans l’utilisation des rayonnements ionisants chez l’homme. Elle inclut la gestion des événements radiologiques médicaux – applications inadéquates ou défectueuses de rayons ionisants sur des patients – et le respect des dispositions de l’ordonnance du 26 avril 2017 sur la radioprotection (ORaP ; RS 814.501). Tout événement radiologique médical implique aussi la sécurité du patient.
Lors de la saisie et de l’évaluation d’événements radiologiques médicaux, on ne cherche pas à mettre la faute sur des individus, mais on se focalise plutôt sur les structures et les procédures de l’institution médicale (y c. la gestion de la qualité). L’analyse des données vise à déduire des mesures garantissant des applications sûres et correctes du rayonnement ionisant en médecine. Le but est d’améliorer en continu les procédures internes de l’institution ainsi que la communication avec les intervenants externes (p. ex. les prescripteurs).
Cette démarche permet de promouvoir la sécurité des patients, d’améliorer celle du personnel médical (mot clé : victime secondaire) et de maintenir une culture ouverte de l’erreur.

Bases légales
Les événements radiologiques médicaux sont régis par les art. 49 et 50 de l’ORaP. Ces réglementations s’appliquent à toutes les utilisations médicales de rayonnement ionisant et à tous les titulaires d’autorisation [1]. Elles valent pour les hôpitaux et les instituts privés, mais également pour les médecins résidents, agréés et consultants de toutes les spécialités.
Les causes d’un événement radiologique médical peuvent être des défaillances techniques, des instructions de travail prêtant à confusion, des procédures décrites de manière incomplète avec, le cas échéant, l’erreur humaine qui en résulte. Vous en apprendrez plus sur les thèmes de la tenue du registre, des obligations de notification et de la gestion des événements radiologiques médicaux en consultant la directive de l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) « Événements radiologiques médicaux – Définition et devoirs  » [2].

Évaluation des notifications
La division Radioprotection de l’OFSP collecte les événements radiologiques médicaux notifiés, les classe, en assure le suivi et les résume sous forme de statistiques annuelles. L’introduction d’une plate-forme numérique permettant de déclarer en ligne les événements radiologiques médicaux soumis à l’obligation de notification est en préparation. À la suite de la notification initiale, l’institution en question doit établir un rapport détaillé et le remettre dans les six semaines à l’OFSP.
Tous les événements notifiés font l’objet d’une présentation et d’une discussion au sein de l’OFSP. En cas d’accumulation frappante d’événements d’une cause donnée, d’indications d’une erreur de fonctionnement sur un type d’appareil particulier ou de phénomènes semblables, des mesures appropriées sont prises afin d’informer les autres institutions potentiellement concernées et d’éviter ainsi que de telles situations ne se reproduisent.

 

Figure 1 : nombre d’événements radiologiques médicaux notifiés par catégorie de 2018 à 2022.

Classification des événements radiologiques
Depuis l’entrée en vigueur en 2018 des ordonnances en matière de radioprotection totalement révisées, certains événements radiologiques médicaux sont soumis à notification.
En 2018, la classification des événements radiologiques médicaux notifiés se limitait aux seules catégories « Erreurs d’identification de patients ou d’organes » et « Autres ». Le nombre croissant de notifications et les rapports plus détaillés concernant le déroulement des événements ont permis d’affiner les catégories. Désormais, non seulement les erreurs d’identification des patients et celles des organes sont saisies séparément, mais de nouvelles catégories ont été introduites : inversions de protocoles d’examen ou de traitement, champs irradiés trop larges, application de faux produits radiopharmaceutiques, répétitions non volontaires d’examens et irradiations erronées.
La statistique annuelle des événements radiologiques médicaux est systématiquement publiée dans le rapport annuel de la division Radioprotection [3]. Les événements revêtant une importance particulière apparaissent sur la page d’accueil de l’OFSP sous forme anonyme [4].
L’obligation de notification concerne les événements médicaux impliquant de hautes doses. C’est pourquoi la plupart des notifications proviennent d’hôpitaux (traitements ambulatoires et stationnaires) et d’instituts de radiologie. Le nombre de notifications est passé de 23 en 2018 à 103 en 2022 avec une augmentation dans toutes les catégories d’événements. Cette hausse s’explique du fait de la sensibilisation à l’obligation de notifier et du renforcement de la discipline en la matière. On peut toutefois supposer qu’à l’instar d’autres domaines médicaux, le nombre effectif d’événements est plus élevé (facteur 20 au minimum). Il faudra encore attendre un certain temps avant de disposer d’un nombre représentatif de notifications permettant de tirer de vraies conclusions sur la situation en Suisse.
Il serait intéressant de comparer le nombre de notifications au nombre absolu d’examens effectués. Le monitorage des expositions aux radiations médicales [5] permet de tirer les conclusions suivantes : tout recours au rayonnement ionisant n’apparaît pas dans les statistiques ou les décomptes de prestations. La fréquence des examens est indiquée pour « 1000 assurés AOS » et non en chiffres absolus. Pour la radiothérapie, les données ne concernent que le nombre de traitements facturés, mais pas le nombre d’irradiations fractionnées.
Tant que le nombre de notifications doit être considéré comme inférieur aux faits (underreporting) et qu’il n’est pas possible d’en tirer des conclusions significatives, il n’est pas pertinent de les mettre en corrélation avec le nombre absolu d’examens (même si celui-ci était disponible), car cette comparaison ne fournirait pas de chiffres parlants.

Méprises
Depuis 2020, environ 50 % des événements notifiés chaque année concernent systématiquement des méprises (inversion de patients, d’organes, de protocoles d’examen et de traitement). Les inversions de patients occupent une place particulière. Elles se caractérisent par le fait que les examens ou les expositions au rayonnement associées ne sont a priori, ni indiqués, ni justifiés, ce qui pose aussi des problèmes éthiques.
Alors que le nombre d’inversions de patients notifiées était de 20 cas en 2018, il s’élevait déjà à 34 en 2022. Ce chiffre continue d’augmenter, représentant en permanence au moins 30 % de tous les cas signalés.
Les rapports indiquent que les inversions de patients peuvent intervenir au cours de deux étapes distinctes du processus. Lors de la prescription ou lors de l’exécution de l’examen ou du traitement. Entre-temps, nous distinguons aussi ces deux catégories. Pour le graphique affiché dans le présent article, nous avons réévalué les statistiques des années précédentes conformément aux catégories utilisées actuellement, ceci afin de permettre une comparaison.
Presque toutes les inversions de patients survenant lors de la prescription sont liées à l’utilisation du système d’information hospitalier (SIH). Ce logiciel permet d’ouvrir simultanément les données de plusieurs patients pour y accéder. Il est fréquent que plusieurs personnes travaillent sur le même PC. Pour des raisons pratiques, aucune n’utilise son propre login, mais laisse l’interface du logiciel ouverte pour l’utilisateur suivant. Il peut aussi s’avérer nécessaire, à la suite de demandes téléphoniques ou autres, d’afficher les données d’un autre patient pour fournir des informations et des instructions adéquates. Dès lors, il se peut que l’affichage des données d’un autre patient reste inaperçu. Si l’on se trouve dans le mauvais dossier et que l’on inscrit un examen radiologique, une inversion de patients peut vite arriver. Dans les services utilisant encore des formulaires d’inscription physiques pour les patients, des inversions peuvent avoir lieu lorsqu’une étiquette est collée sur un faux dossier.
Une identification insuffisante du patient était à l’origine de pratiquement toutes les inversions de patients lors de l’irradiation. L’analyse a montré que des patients portant des noms similaires ou ayant répondu à un appel nominal ont été soumis à des examens ou à des traitements sans autre vérification. Parfois, ce sont des problèmes de langue ou de nature médicale qui ont affecté la communication. Souvent, dans de tels cas, l’application systématique de la modalité standard consistant à vérifier l’identité du patient à l’aide de deux sources (p. ex. bracelet du patient et interrogation du patient, bracelet du patient et carte d’identité, bracelet du patient et indications du personnel soignant, etc.) a fait défaut. Une solution simple consisterait à commencer par identifier le patient en vérifiant sa date de naissance et en lui demandant de préciser son nom.

Radiovigilance et stratégies
Le renforcement de la discipline de notification, traduit par l’augmentation du nombre d’événements signalés, est très réjouissant. Les rapports reçus indiquent que le nombre de notifications ne résulte pas seulement de la prise en compte des obligations légales, mais encore d’une culture de la sécurité progressiste dans l’entreprise. Cette culture de la sécurité se caractérise par la confiance entre les collaborateurs et les responsables hiérarchiques ainsi que par la gestion ouverte de la problématique du risque (p. ex. speak up). L’identification des risques entraîne d’abord une augmentation du nombre d’événements déclarés. Puis, la désignation des sources d’erreurs, la déduction de mesures d’amélioration et les adaptations judicieuses des processus internes font à nouveau baisser ce chiffre.
Les notifications des événements radiologiques médicaux améliorent la sécurité des patients. Ces efforts s’inscrivent dans le contexte des différentes stratégies en matière de santé aux niveaux national et international : Politique de la santé – stratégie du Conseil fédéral Santé 2030 (Objectif 5 : Augmenter la qualité des soins) [6], Global Patient Safety Action Plan 2021-2030 de l’OMS (Objectif 6.1 : Sécurité des patients – Systèmes permettant de notifier les incidents et d’en tirer des enseignements [7], Stratégie pour le développement de la qualité dans l’assurance-maladie (Objectif C1 : « La mise en place d’une culture juste (just culture) … »], Objectif CP1 : « La position des patients […] est renforcée », Objectif SP1 : « Les fournisseurs de prestations exploitent, pour leur domaine d’activité, un système de gestion des risques cliniques » [8]).
​​​​​​​L’analyse systémique des erreurs basée sur le Protocole de Londres est déjà considérée comme une mesure d’amélioration qualitative dans le sens de la stratégie de la qualité LAMal [9]. Des efforts importants doivent encore être consentis pour une mise en œuvre nationale à grande échelle d’une culture juste. Enfin et surtout, il faut sensibiliser la population et les patients aux risques afin qu’ils apportent leur propre contribution à la sécurité des patients. En conséquence, l’OFSP a publié sur son site Internet un site web consacré spécifiquement à l’information des patients en radioprotection.

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Bibliographie et informations complémentaires

 

  1. Titulaires d’une autorisation d’utiliser des rayonnements ionisants ou des installations radiologiques au sens de l’art. 28 de la loi fédérale sur la radioprotection (LRaP)
  2. Office fédéral de la santé publique OFSP, division Radioprotection : Directive OFSP « Événements radiologiques médicaux – Définition et devoirs », https://www.bag.admin.ch/dam/bag/fr/dokumente/str/str-wegleitungen/allgemeine-bestimmungen/med-strahlenereignis-definition.pdf (consulté le 31 août 2023)
  3.  https://www.bag.admin.ch/bag/fr/home/das-bag/publikationen/taetigkeitsberichte/jahresberichte-strahlenschutz-umweltradioaktiviaet-und-dosimetrie.html (consulté le 31 août 2023)
  4. https://www.bag.admin.ch/bag/fr/home/gesund-leben/umwelt-und-gesundheit/strahlung-radioaktivitaet-schall/radiologische-ereignisse-notfallvorsorge/radiologische-ereignisse.html (consulté le 31 août 2023)
  5. https://www.bag.admin.ch/bag/fr/home/gesund-leben/umwelt-und-gesundheit/strahlung-radioaktivitaet-schall/strahlenanwendungen-in-der-medizin/diagnostische-strahlenexposition-in-der-medizin.html (consulté le 17 juillet 2024)
  6. Office fédéral de la santé publique OFSP : Politique de la santé : stratégie du Conseil fédéral 2020-2030 https://www.bag.admin.ch/bag/fr/home/strategie-und-politik/gesundheit2030/gesundheitspolitische-strategie-des-bundesrats.html (consulté le 31 août 2023)
  7. World Health Organization WHO: Global Patient Safety Action Plan 2021-2030, https://www.who.int/teams/integrated-health-services/patient-safety/policy/global-patient-safety-action-plan (consulté le 31 août 2023)
  8. Office fédéral de la santé publique OFSP : Développement de la qualité dans l’assurance maladie. Document de synthèse sur la stratégie de qualité et les objectifs du Conseil fédéral pour les années 2022 à 2024, https://www.bag.admin.ch/bag/fr/home/strategie-und-politik/nationale-gesundheitsstrategien/qualitaetsstrategie-krankenversicherung.html (consulté le 31 août 2023)
  9. https://www.hplus.ch/fileadmin/hplus.ch/public/Qualitaet/Qualitaetsverbesserungsmassnahmen/Themenbereich_Qualitaets-_und_Sicherheitskultur/Systematische_Fehleranalyse_auf_Basis_des_Londonprotokolls.pdf (consulté le 31 août 2023)

Commentaire sur la radiovigilance du Dr Carlos Quinto, membre du Comité central de la FMH

L’article de Jeanne Berg et al. présente des chiffres sur la radiovigilance. Il rappelle que l’obligation de notification se limite aux événements médicaux impliquant de hautes doses et que, dans les grandes lignes, elle distingue entre erreurs techniques et erreurs de communication, à savoir des instructions incomplètes ou des erreurs d’identification de patients ou d’organes à examiner. Les statistiques sont révélatrices, mais ne permettent pas encore de tirer beaucoup de conclusions. Comme pour tout monitorage, l’incidence des événements indésirables a tendance à croître au début, mais on ne peut conclure à une détérioration de la prise en charge médicale avant d’avoir atteint la phase de plateau. La manière de notifier pose également question. Il est possible que le nombre et le contenu des notifications changent encore avec la possibilité de les déclarer en ligne. Mais il semble d’ores et déjà clair que les systèmes d’information hospitaliers sont un facteur de risque important dans les inversions de patients. Les règles de notification et la sécurité d’une relation de confiance ainsi qu’une culture de l’erreur sont cruciales. Toute médiatisation polémique nuirait à l’objectif visé par la radiovigilance.

L’inversion des patients n’est pas un problème spécifique aux rayons ionisants. Elle est également influencée par les structures et procédures des institutions médicales concernées et dépend aussi fortement de la dotation en personnel. Parler directement avec les patients est dès lors essentiel. Pour garantir une certaine qualité, il faut du temps. Or c’est justement ce temps qui fait défaut, car il est limité par la bureaucratie. Est-ce qu’en faire moins ne serait pas un plus ? Est-ce que nous nous concentrons sur ce qui est essentiel ? La radiovigilance dans le domaine des fortes doses fait assurément partie de ce qui est essentiel. Mais pour cibler des améliorations dans un contexte de pénurie de personnel qualifié et de finances serrées des hôpitaux, il est inévitable de réduire ou de supprimer d’autres tâches administratives. D’après une enquête de l’ASMAC, seules 27 % de toutes les demandes émanant des assureurs-maladie et des autorités ont été jugées médicalement utiles par les médecins. C’est là qu’il faut agir et réduire les demandes inutiles, pour le bien des patients et de la radiovigilance.

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